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Déchets de chantier : qui est responsable de quoi?
Dernière mise à jour : 1 avr. 2021
La loi de transition énergétique fixe un objectif de 70 % de valorisation des déchets non dangereux produits par le secteur du BTP. Si cette obligation est bien identifiée par les acteurs du secteur (à défaut d’être atteinte), la question de la propriété des déchets issus des chantiers reste en revanche plus méconnue.

Des objectifs environnementaux ambitieux
L’adoption par le parlement français de la loi de 2015, relative à La transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), a arrêté des objectifs ambitieux en matière de développement durable, en particulier concernant le réemploi des déchets issus de chantiers. La loi préconise notamment que « 70 % des matières et déchets produits sur les chantiers de construction ou d'entretien routier sont réemployés ou orientés vers le recyclage ou les autres formes de valorisation matière ». Elle impose également aux propriétaires des chantiers routiers d’utiliser 60 % de matériaux de constructions issus de déchets recyclés ou retraités ( au moins 30 % pour les couches de roulement des enrobés routiers et jusqu'à 20 % dans les couches de surface dans le cas du secteur des TP).
Quid de la responsabilité juridique ?
La loi de transition énergétique pour la croissance verte, portée à l’époque par la ministre de l’Environnement Ségolène Royal, est en revanche plus évasive sur les responsabilités qui incombent au maître d’ouvrage (autrement dit le commanditaire des travaux) et au maître d’œuvre, en charge de la conduite du chantier. Cette question est importante à double titre. Elle permet d’identifier, d’une part, qui des deux parties est responsable juridiquement, en cas de manquements aux obligations de valorisation des déchets générés par le chantier. Il s’agit d’autre part, de savoir qui est propriétaire de ces derniers, dans le cas où leur valorisation est susceptible d’être monétisée, par exemple.

La notion de producteur de déchets
Contrairement à certaines idées reçues, c’est bien le maître d’ouvrage qui en est le propriétaire, comme le montre une passionnante « Etude sur la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage en matière de déchets » réalisée par le cabinet parisien Enckell Avocats pour Démoclès, une plateforme collaborative créée à l’initiative de l’éco-organisme Récylum. Il en ressort que "Le maître d’ouvrage est considéré comme producteur des déchets et responsable de leur bonne gestion jusqu’à leur réutilisation/réemploi/incorporation dans un nouveau produit/valorisation finale/élimination" puisqu'il en reste le propriétaire au regard des législations françaises et européennes. L’entreprise de travaux est quant à elle "détentrice des déchets et responsable de leur bonne gestion" jusqu’à leur réutilisation/réemploi/incorporation dans un nouveau produit/valorisation finale/élimination.
Un transfert de propriété envisageable
Le maître d’œuvre, dans la mesure où il n’est ni à l’origine des travaux générant les déchets, ni propriétaire de ces derniers, n’est pas juridiquement responsable des déchets générés par les travaux, « ni avant, ni pendant, ni après le chantier ». Mais le maître d’ouvrage a la possibilité de se retourner contre l’exécuteur des travaux, en tant que producteur des déchets, si sa responsabilité est engagée en raison de leur mauvaise gestion (si ceux-ci finissent dans une décharge sauvage, par exemple). Il peut également transférer la propriété des déchets au maître d’œuvre. Une règle du droit français prévoit en effet qu’« à compter de son abandon, le déchet est une chose sans maître ». Autrement dit, le producteur des déchets (au sens du Code de l’environnement) n’en est donc plus propriétaire (au sens du Code civil). L’entreprise de travaux devient ainsi « possesseur » des déchets puisque le maître d’ouvrage, s’il reste responsable en tant que producteur, n’est plus propriétaire des déchets qu’il abandonne : « La possession exercée par le détenteur se substitue à la propriété initiale du producteur » rappelle le cabinet Enckell Avocats.
Une politique vertueuse surtout incitative
La loi relative à La transition énergétique pour la croissance verte ne contient pas de mesures coercitives, pour les maîtres d’ouvrage (publics et privés) qui ne respecteraient pas la part de 70 % de valorisation des déchets non dangereux produits par une entreprise de BTP mandatée. Par ailleurs, comme le souligne les auteurs de l’étude, la question du rôle et de la responsabilité du maître d’ouvrage en matière de déchets a rarement été posée aux juges, administratifs ou judiciaires. Des décisions de justice récentes (arrêts des cours administratives d’appel de Nancy et de Versailles) rappellent toutefois que le maître d’ouvrage est bien producteur des déchets issus des chantiers de déconstruction et de construction. L’absence de contrôles systématiques de la part des pouvoirs publics, concernant les taux de valorisation ou de réemploi des déchets non dangereux ne met toutefois pas les maîtres d’ouvrage indélicats, ou négligents, à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires.
Quand les citoyens saisissent les tribunaux
L’exemple récent de "l'Affaire du siècle", autrement dit la poursuite de l’Etat français par des associations de défense de l’environnement (la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace, Oxfam et l’association Notre Affaire à tous) atteste en effet d’une nouvelle stratégie de ces ONG, pour qui les tribunaux offrent une tribune médiatique de premier choix. La prise de conscience par le grand public des thématiques environnementales est également susceptible d’amener le pouvoir politique à se saisir finalement de cette question et de prévoir un arsenal de mesures punitives dans le cas de manquements des maîtres d’ouvrages à leurs obligations légales. Ces exemples sont autant de signaux incitatifs pour les collectivités territoriales à revoir ou à tout le moins à anticiper cette éventualité, avant d’être forcé de le faire, sous la pression des citoyens. Avec tout le « bad buzz » que cela suppose, pour la collectivité incriminée...
17%
C’est le taux moyen de réintroduction d'agrégats d'enrobés, issus de recyclage, utilisés pour la construction ou l’entretien des routes françaises en 2019, soit un volume de 17,2 millions de tonnes (Source www routesdefrance.com).